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09 Dec 2019

La forêt libère : journal d'un voyage au pays des pygmées Baka

Dimanche 8 septembre 2019
12e Anniversaire du décès de JF Bizot


Nous marchons longtemps, près de 40min sur la route d'abord. Nous saluons les villageois, passons la seule école primaire en pays Baka, une grande maison de missionnaire, un centre de santé d'une autre mission, jusqu'à un carrefour marqué d'une bille de bois.
Là, une petite maison à l'angle, la maison de Karine, ses 2 petits garçons et sa fille ado.

La forêt t'accueille à bras ouverts, les chemins sont spacieux, éclairés puis elle se rétrécit. Et tout s'obscurcit. Le feuillage est plus dense, les plantes te caressent les chevilles, les bras, le visage, les lianes et les branches sont à hauteur de tête, obligé de te baisser pour passer dessous, grimper sur des troncs, éviter des marécages de boues en marchant tel un équilibriste sur une branche d'arbre ou une tige de bambou posées là, traverser des rivières à petits pas sur un pont de terre détrempée de 40 centimètres de largeur, tu t'humilies. Tu deviens petit, tout petit en vérité. Tu aimerais être aussi légère que Lèbè, jeune femme pygmée, notre guide, qui virevolte, escalade, intraçable, aucune empreinte sur le sol, tellement elle touche la terre avec délicatesse, malgré le panier de 30kg qu'elle porte sur le dos avec les vivres et cadeaux que nous apportons au village.
Sur le chemin, nous rencontrons des chasseurs. L'un d'eux porte sur l'épaule un fusil d'un autre âge, sans doute l'a t-il d'ailleurs fabriqué lui même, le manche est en bois brut, la gâchette, un morceau de métal détourné pour une nouvelle utilisation. Ils ont piégé et attrapé un porc épic, tout frais. 3000fcfa.
Nous l'apportons au village pour le repas du soir. Du coup, nous perdons de vue notre guide. Le campement a changé de place. Baka ne sait pas quelle direction prendre. Il décide de s'arrêter, trouve un endroit sûr, pousse quelques branches, coupe des feuilles comme siège et on s'installe sous les arbres. Au dessus de nous, une immense toile d'araignée, installé comme un rideau. Nous attendons 1h environ. Lébé nous retrouve, au son des appels lancés entre elle et Baka. Leur écho résonne naturellement dans la forêt. Nous reprenons donc ensemble notre marche quand un grand mec/bantou bloque le chemin, Lébé demande sa route, l'homme reste sur la route . Baka crie à Lébé de continuer. Elle contourne et nous à la suite cet homme à l'attitude arrogante presque menaçante qui nous dévisage à notre passage, la machette sur l'épaule. Après une heure environ de marche, il est 14h20, nous arrivons dans une petite clairière, encadrée de grands arbres. La fumée du feu est le 1er signe que nous sommes arrivés, puis vue sur 5 huttes de feuilles.
Le village est presque vide, tout le monde est en forêt. Mayebou entretient le feu, les enfants jouent dans les cases, d'autres reviennent avec des bidons d'eau de la source. Au sol sèchent des noix de Mango (mangues sauvages). Nous nous asseyons sur un tronc d'arbre à l'abri du soleil pour discuter. Autour de nous, les insectes vaquent à leur occupation. Je stresse une minute en réalisant qu'il y a des fourmis , grosses fourmis au sol, des fourmis-mouches, des micros moucherons rouge, les drones comme je les appelle, qui volent, quelques abeilles. Pourtant, chacun trace sa route. Pas d'insecte ou presque tentent de m'escalader. Toujours une ou 2 abeilles curieuses ou désireuses de m'embrasser, sans plus. Mayebou s'assied avec nous, je me présente. Baka l'invite à chanter. Elle entonne une première chanson, son son est rempli de vibrations, qui me pénètrent, je suis juste à côté, et et son volume résonne dans la forêt entière, comme si elle chantait pour elle-la forêt. Immense sensation de puissance et d'énergie. Elle en chante une autre. Je la remercie, elle tourne la tête, comme gênée par le compliment. Quelques instants après, elle disparaît avec sa machette en bas de clairière, vers la forêt de nouveau, et revient avec des branchages. Elle construit une nouvelle hutte pour nous accomoder.
Je l'aide et observe avec attention son travail minutieux. Elle plie les branches afin de leur donner une forme, puis les enfonce en terre, d'autres sont ensuite installées en quinconces et en tissage afin de monter les murs, en utilisant le feuillage des branches comme lien. Le fond de la hutte est monté. Puis l'entrée. Puis enfin les côtés. Elle couvre enfin la hutte de grandes et larges feuilles, coincées entre les branchages. Devant la hutte sont placées les branches d'un certain arbre qui chasse tous les mauvais esprits.
À l'intérieur, une banquette/lit en bambou est installée, surélevée, laissant un espace entre le sol et la banquette. On y installe immédiatement un feu, dont la fumée va purifier le lieu, et humecter le plafond de la hutte de suie pour en isoler l'interieur et faire fuir les insectes et autres curieux visiteurs. Les feuilles du plafond prennent plus tard une allure cirée et brillante, presque dorée.
Pendant ce temps, Lébé nettoie le porc épic, le lave, puis elle le met à bouillir sur le feu avec du sel dans une marmite en aluminium.
Peu à peu, le village se remplit. Un groupe d'adolescents d'abord, puis les femmes, puis les hommes.
Le village s'anime. Plusieurs feux sont allumés, dehors pour la cuisine, dans les cases. Les familles se retrouvent, échangent sur leur journée.
Dès 13h, un sérieux mal de tête a commencé. Je pensais avoir laissé mes médocs au village. Vers 16h, je demande à m'allonger. Je trouve finalement du Doliprane dans mon sac. J'en prends un qui met des heures à agir. Tout la partie gauche de la tête est endolorie, un mal lancinant. Vers 19h, le repas est prêt. Baka me fait goûter le porc épic cuit comme un met, braisé dans une feuille, c'était exquis ! Sans doute le meilleur porc épic de ma vie ! Puis nous le mangeons en sauce avec du Mango, une banane verte braisée et du pain. Le bouillon me fait du bien, j'avais sans doute faim aussi. On mange assis sur le banc qu'un des hommes du village vient de créer de toute pièce. Nous attendons le chef du village qui est en retard. Sa femme s'inquiète. Il arrive finalement à la fin du repas. Baka me présente. Puis il demande une chanson. Le village entonné 2 chants, stupéfiants. Dans l'obscurité, juste les braises d'un feu qui s'éteint, et toutes ces voix en harmonie, dans une polyrythmie très intriquée, et de nouveau, l'énergie, la puissance, ils chantent pour la forêt, je sens même les corps, les poitrines vibrer, le souffle qui sort de ces poitrines.
J'en pleure presque. Puis je me présente à tous. Le chef, qui a beaucoup bu, commence un petit show, temps pour moi d'aller dormir.
Je dors finalement dans la hutte où j'ai fait ma sieste. Lébé y a allumé un feu. J'entre dans la hutte et Baka ferme la porte faite de feuilles. La fumée emplit la hutte et chasse les insectes. La douce chaleur du feu s'éteint doucement et moi, je m'endors très vite sur mon lit en bambou.
Je me réveille plusieurs fois, pour ajuster les morceaux de bambou qui glissent et mon corps un peu meurtri. Mais je dors bien. Sans me soucier d'un quelconque danger.
J'entends le village se réveiller. J'entends les flûtes de Baka. Je me lève, bois de l'eau et méditation. Il commence à pleuvoir. Je me rendors. Je rêve et dans mon rêve, je suis avec des gens quand l'un d'eux arrive plus près de moi. Je me réveille et je vois le petit chien blanc qui est dans ma hutte. On se regarde. Je lui souhaite la bienvenue. Il vient s'installer près de moi et s'endort.
C'est Baka qui me réveille "Mon amie! Ça va?"
Mon mal de tête est là, installé. Il pleut encore un peu. Il a plus près de 5h d'affilée. Une tempête. Storm.
Dans ma hutte, je suis à l'abri. Étrangement, ces feuilles entrelacées et ces branchages sont hyper bien installés. Aucune infiltration d'eau dans la hutte, ni par le toit, ni par le sol. Quelle technologie!  Je suis saisie par l'ingéniosité.
On mange de nouveau la sauce au Mango porc épic avec banane verte braisée. De nouveau, mon mal de tête s'estompe. Les femmes se réunissent sous la nouvelle hutte, toute verte du nouveau feuillage. Baka m'invite alors à prendre ma première leçon de chant Baka. Je demande si je peux filmer. Il prend ensuite la camera.
Je me cale sur Lébé qui chante en alto. Magnifique. Petite interview de Baka. Mon téléphone fait des siennes. Problème d'espace de stockage. Du coup, je dois effacer plein de choses sur mon téléphone. Pendant que je fais défiler les images et vidéos et machinalement tapote mon écran pour effacer des centaines de photos, les femmes se pressent autour de moi pour zieuter un peu ! Du coup, je leur montre une vidéo du concert de BedStuy-Brooklyn, et je leur chante un bout de Sweetest Tabou. Elle rient et me copient faisant "eh-oh-oh" avec le mouvement des mains. Elles apprécient mon effort. Les enfants sourient. C'est l'essentiel. Et déjà, il est temps de partir. 13h07, nous quittons le village. Nous suivons de nouveau Lébé qui nous ouvre la route chargée de tous nos sacs dans sa besace. Elle virevolte de nouveau. Nous marchons vite, pourtant, il a plu, mais le retour est souvent plus rapide que l'aller, quand on a fait la route une fois, on la connaît ... ou semble t'il, car en forêt, surtout après un orage, la forêt change. Des arbres et des branches tombent, modifiant le parcours. Je suis Lébé avec attention, je mets mes pieds là où elle met les siens. Sauf que je me prends toujours toutes les toiles d'araignée dans la figure, elle, elle passe en dessous. Elle casse de ses mains les branches qui obstruent le chemin tout en marchant. Je la suis, même si parfois je m'essoufle, je garde le rythme.
Nous arrivons vite à la route. Boueuse. Parfois d'énormes flaques coupent la route en 2. Retour à Nomedjoh.
On se pose 30min. Le temps d'un thé et de beignets bienvenus.
Depuis mon arrivée à Nomedjoh samedi matin 5h40 du mat, je n'ai pas donné de news aux miens. On se met donc en route à la recherche de réseau. Une marche de 40min sur la route. Pour réaliser que les téléphones Android ne reçoivent pas le signal. Échanger les puces de téléphones pour essayer d'appeler. Un des numéros ne fonctionne pas. Je laisse un message audio sur l'autre qui est aussi injoignable. Je perds 20min à rédiger 2 textos dont l'envoi échoue par 2 fois. Bien sûr, sur un téléphone ou tu sélectionnes les lettres en appuyant suivant, une par une. Puis 40min de marche pour rentrer. Une seule envie en rentrant, me laver.
Je fais une toilette rapide mais essentielle.
Enfin, je me pose pour une petite pause rêvée. Les notables Baka viennent nous retrouver. Nous donnons une bouteille à Mekom Jean. Le whisky est servi à chacun. C'est le moment où il faut partir car l'alcool échauffe les esprits. Il est 20h.

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